mai 2021

Les lettres accessoires dans l’univers des placements privés : leur nature, aire d’application et contenu

Depuis plus d’une décennie, les placements dans les marchés privés[1] constituent un complément intéressant pour les investisseurs institutionnels aux placements traditionnels, telles les obligations et les actions. Toutefois, les placements privés comportent généralement une plus grande complexité contractuelle que les placements plus traditionnels.

Certaines questions des investisseurs peuvent ressurgir lors de la vérification des documents gouvernant les placements privés, par exemple :

  • Comment éviter de contrevenir aux restrictions législatives applicables en matière d’investissement, notamment à l’égard des régimes de pension agréés?
  • Comment remédier à une ambigüité ou lacune préoccupante dans la documentation?
  • Comment s’assurer de bénéficier substantiellement du même traitement que celui accordé aux investisseurs s’étant engagés à contribuer un apport en capital égal ou moindre?

Les échéanciers encadrant la participation aux placements dans les marchés privés sont souvent serrés et la modification des documents constitutifs pour répondre à de telles questions avant la date de clôture de la transaction est souvent difficile, voire impraticable. De plus, seuls les investisseurs très importants peuvent généralement influencer le contenu des documents constitutifs dans les faits.

Que faire?

Une solution s’est développée au fil du temps pour répondre à ce type d’enjeu : la négociation de lettres accessoires (communément désignées side letters).

Voici un tour d’horizon de cette notion de lettres accessoires où nous allons d’abord décrire leur nature et aire d’application pour ensuite donner certains exemples de clauses typiques.

NATURE

Par « lettres accessoires » nous entendons les ententes bilatérales intervenant entre un investisseur et le gestionnaire[2] du placement privé qui permettent d’ajouter et, à certaines conditions, de modifier le contenu des documents gouvernant le placement (tels la convention de société en commandite (limited partnership agreement) et la convention de souscription, etc.), et ce, au seul bénéfice de l’investisseur qui en est le signataire.

Généralement, suivant leur conclusion, les lettres accessoires deviennent, à l’égard de l’investisseur signataire, l’un des documents gouvernant le placement privé. Toutefois, pour atteindre son objectif, la lettre accessoire doit avoir un caractère prépondérant sur les autres documents en cas de conflits entre leurs termes respectifs.

AIRE D’APPLICATION

Traditionnellement, les lettres accessoires étaient réservées à des investisseurs spécifiques, comme les investisseurs initiaux d’un placement ou les investisseurs sujets à une règlementation particulière. De plus, elles étaient surtout négociées dans le cadre de fonds fermés[3]. Or, depuis quelques années, cette pratique semble s’être étendue au-delà de la sphère traditionnelle, en ce que l’utilisation de ces lettres est désormais courante à l’égard de tout type d’investisseur ainsi que pour des investissements dans des fonds ouverts[4].

Bien que les lettres accessoires soient principalement utilisées dans le cadre de placements constitués sous forme de société en commandite[5], elles sont parfois négociées dans le cadre de placements constitués sous d’autres formes, telle la fiducie.

CONTENU

Étant donné leur nature personnalisée pour chaque investisseur, le contenu des lettres accessoires variera évidemment d’un investisseur à l’autre selon divers facteurs ou circonstances. Nous présentons par ailleurs ci-après les dispositions de lettres accessoires les plus courantes.

  • Most Favoured Nations (« MFN ») – Ces clauses offrent généralement deux types de droits à l’investisseur signataire. D’une part, elles lui permettent de recevoir une copie des lettres accessoires conclues par les autres investisseurs. D’autre part, elles accordent à l’investisseur la possibilité de se prévaloir des droits prévus aux lettres accessoires conclues par les autres investisseurs ayant, en principe, promis un apport monétaire égal ou moindre que celui de l’investisseur signataire de la clause MFN. Il importe toutefois de préciser que certains types de droits sont souvent exclus d’emblée de l’application des clauses MFN, tels que ceux qui accordent des droits d’information supplémentaire comme l’envoi de rapports additionnels, ou qui permettent à l’investisseur, pour les investissements structurés en sociétés en commandite, de désigner l’un de ses représentants comme membre du comité consultatif de placement.
  • Réduction des frais de gestion – Dans la mesure où une réduction des frais de gestion est accordée à l’investisseur signataire, ce qui peut être le cas notamment pour les premiers investisseurs d’un placement (early closing investors), cette réduction est généralement reflétée à la lettre accessoire.
  • Règlementation particulière – Les investisseurs sujets à une règlementation particulière peuvent obtenir, entre autres, des représentations de la part du gestionnaire quant au respect de cette règlementation ou, dans l’alternative, le droit d’être délié de l’obligation de participer aux investissements qui, en l’absence d’une telle exclusion, aurait pour effet que l’investisseur contrevienne à une telle règlementation. C’est d’ailleurs le cas pour les régimes de pension agréés ou les investisseurs qui regroupent de tels régimes (fiducie globale) dont les placements sont règlementés par la Loi de l’impôt sur le revenu et les lois sur les régimes de retraite.
  • Notification à la survenance de certains évènements – Le gestionnaire du placement doit notifier l’investisseur signataire advenant la survenance d’évènements qui peuvent raisonnablement avoir un effet matériel et néfaste, tel l’institution de procédures judiciaires à l’encontre du placement ou le défaut du gestionnaire de se conformer aux lois applicables ou à la documentation gouvernant le placement.

Par ailleurs, comme la plupart des gestionnaires de ces placements disposent de leurs propres clauses couvrant ces sujets, il est souvent plus efficace et moins coûteux pour tous d’utiliser le libellé provenant du gestionnaire en question, du moins comme point de départ à la négociation.

Comme évoqué précédemment, les lettres accessoires peuvent aussi être utiles à des fins plus spécifiques, notamment pour pallier certaines ambigüités constatées dans les documents gouvernant le placement. À titre d’exemple, une telle lettre pourrait prévoir une représentation du gestionnaire quant à l’interprétation à être appliquée à une disposition ambigüe.

À RETENIR

Dans bien des cas, les lettres accessoires s’avèrent un instrument flexible et efficace que les investisseurs institutionnels peuvent utiliser pour obtenir une protection additionnelle ou pallier des préoccupations plus spécifiques. Bien que certaines clauses soient assez standards et répandues dans les placements privés, d’autres clauses moins communes peuvent se justifier selon les circonstances, la nature des placements envisagés et, surtout, les besoins particuliers de l’investisseur.

 

Pour toutes questions concernant les lettres accessoires, consultez les avocats de Normandin Beaudry.

[1] Nous entendons par « placements dans les marchés privés » les placements qui, en substance, ne sont pas négociés sur un marché organisé, telle une bourse.

[2] Pour alléger le présent texte, nous utiliserons le terme « gestionnaire » pour désigner la ou les entités qui dirigent le placement privé, bien que cette fonction soit fréquemment assumée par un commandité dans le cadre de placements structurés en société en commandite.

[3] Les « fonds fermés » sont ceux dans le cadre desquels les investisseurs doivent maintenir, en principe, leur participation pour une durée déterminée, et ce, jusqu’à la terminaison et liquidation du fonds.

[4] Par opposition aux « fonds fermés », les « fonds ouverts » sont ceux en vertu desquels les investisseurs peuvent faire racheter leurs parts ou unités dans le fonds avant la liquidation du fonds, sous réserve des délais et restrictions qui peuvent être autrement prévus.

[5] Pour plus d’information concernant ce type de véhicule, veuillez consulter le texte suivant des mêmes auteurs « Aspects juridiques avantageux des placements privés : le jeu en vaut peut-être la chandelle ».

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