juin 2018

Évaluation du maintien de l’équité salariale — Décision de la Cour suprême

La décision en bref...

Le 10 mai dernier, la Cour suprême du Canada confirmait les conclusions de la Cour Supérieure du Québec en 2014 et de la Cour d’appel du Québec en 2016, à savoir l’inconstitutionnalité des articles 76.3 et 76.5 ainsi que du second alinéa de l’article 103.1 de la Loi sur l’équité salariale (ci-après la « Loi »).

En ayant pour effet de permettre implicitement des pratiques de rémunération discriminatoires à l’égard des femmes, ces articles contreviennent en effet au droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.

Le législateur devra donc revoir le contenu de la Loi, en ce qui a trait aux trois articles concernés. Dans l’attente que la Loi soit modifiée, les obligations de l’employeur restent inchangées.

Pourquoi l’évaluation du maintien de l’équité salariale, telle qu’elle est prévue par la Loi, ne protège-t-elle pas suffisamment les femmes contre les pratiques discriminatoires?

Tous les cinq ans, les organisations québécoises comptant 10 salariés ou plus doivent évaluer le maintien de l’équité salariale au sein de leur entreprise. Lors de cette évaluation, si des écarts de rémunération entre les emplois féminins et masculins sont observés, ils doivent être corrigés à la date à laquelle l’affichage des résultats de l’évaluation doit avoir lieu, et non à une date antérieure. C’est notamment cette absence de rétroactivité des ajustements qui était au cœur de ce débat judiciaire.

Cette décision touche deux éléments qui pourraient modifier substantiellement les obligations des employeurs quant à l’évaluation du maintien de l’équité salariale :

  • Fournir plus d’information aux salariés dans les affichages, notamment en ce qui a trait à la date à laquelle le changement créant l’écart est apparu (art. 76.3).
  • Verser des ajustements salariaux rétroactifs au moment où le changement créant l’écart est survenu (art. 76.5 et 103.1 al.2). Actuellement, les ajustements sont dus tous les cinq ans, soit au moment où l’évaluation du maintien doit être réalisée.

À la lumière de la décision, la Loi actuelle n’empêche pas que des pratiques de rémunération discriminatoires envers les femmes soient en place, tant que ces pratiques sont corrigées après le fait, soit au moment de l’affichage de l’évaluation du maintien de l’équité salariale. Les organisations peuvent ensuite recréer ces écarts pendant la période de cinq ans suivant cette date, puisque « les iniquités salariales qui apparaissent au cours de la période de cinq ans comprise entre les évaluations restent non corrigées jusqu’à la prochaine évaluation »¹.

Le législateur québécois permet involontairement les écarts salariaux et donc la discrimination systémique envers les femmes. « En tolérant les décisions des employeurs qui entraînent des iniquités salariales pour les femmes, le législateur envoie le message selon lequel il ferme les yeux sur cette inégalité du rapport de force, perpétuant ainsi davantage le désavantage »².

C’est donc le fait que ces ajustements ne puissent être effectués de façon rétroactive pour la période comprise entre les évaluations qui porte atteinte au droit à l’égalité garanti par la Charte. « Cela a pour effet de rendre épisodique et partielle l’obligation incombant à l’employeur en matière d’équité salariale »³.

Les implications de ce jugement pour les organisations québécoises

La Cour suprême du Canada étant la dernière instance judiciaire, la conclusion prononcée par cette Cour est finale. Le législateur québécois n’a donc d’autre choix que de revoir le contenu de la Loi.

La décision rendue ne prend pas position sur ce que devrait contenir la Loi, mais donne quelques pistes en la matière : « Si, par exemple, l’art. 76.5 avait exigé que les ajustements salariaux s’appliquent à compter de la date de la réapparition de l’iniquité salariale, plutôt que de celle de l’affichage des résultats de l’évaluation, les employeurs n’auraient pas bénéficié d’une amnistie en matière d’équité salariale pour la période comprise entre les évaluations, et il n’y aurait pas eu d’effet discriminatoire »4.

Le législateur pourrait maintenir l’évaluation périodique du maintien de l’équité salariale, mais devrait probablement rendre l’exercice rétroactif. La Cour suprême précise que l’atteinte aux droits constitutionnels ne se situe pas au niveau du caractère périodique de l’évaluation, mais plutôt au niveau de l’absence de rétroactivité.

En ce qui a trait à l’information communiquée dans les affichages, on peut imaginer que le législateur devra renforcer l’exigence relative aux détails sur la nature des changements survenus depuis la dernière évaluation du maintien et sur le moment auquel ils sont survenus.

Dans l’attente que la Loi soit modifiée, les obligations de l’employeur restent inchangées. Les organisations doivent donc continuer d’évaluer le maintien tous les cinq ans et verser les ajustements requis au moment de l’affichage5.

La recommandation de Normandin Beaudry

Advenant que les modifications apportées par le législateur obligent les organisations à verser les ajustements rétroactivement au moment où l’écart a été créé, ceci impliquerait des organisations qu’elles documentent en continu tout changement susceptible d’influencer le maintien de l’équité salariale (p. ex. : abolition ou création d’un emploi à prédominance masculine et féminine, réévaluation d’emploi, modification des conditions de travail, négociation d’une convention collective, etc.). Ce travail colossal pour les organisations pourrait être simplifié significativement en instaurant des pratiques de rémunération structurées et équitables pour l’ensemble des catégories d’emplois, et ce, quelle que soit leur prédominance. En effet, si la rémunération n’est pas encadrée par une infrastructure respectant l’équité interne, toute modification aux emplois est susceptible de créer de nouveaux écarts. La mise en place d’une telle infrastructure sera garante du respect de l’équité salariale, peu importe les modifications apportées aux emplois.

Bien qu’elle ait des avantages indéniables, cette Loi ne garantit pas une équité de la rémunération offerte au sein d’une organisation. En effet, qu’en est-il des emplois dont la prédominance est neutre ou des emplois à prédominance masculine qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur?

Les organisations ont donc avantage à aller au-delà des exigences légales en agissant de manière proactive et en instaurant des politiques et des pratiques de rémunération équitables pour l’ensemble de leurs emplois. Une politique de rémunération claire et structurée permettra d’instaurer l’équité interne, externe et individuelle, en plus d’éviter des écarts entre les catégories d’emplois féminines et masculines lors de l’évaluation du maintien de l’équité salariale.

À l’instar de l’Ontario, plusieurs autres provinces canadiennes pourraient adopter prochainement une loi équivalente à la Loi de 2018 sur la transparence salariale. Puisque les employeurs seront contraints de divulguer des renseignements sur la rémunération ou les fourchettes de rémunération dans tout affichage public d’un poste, ceux-ci trouveraient avantage à mettre en place des politiques et pratiques de rémunération structurées et équitables.

Une saine gestion de la rémunération globale est donc bénéfique pour toute organisation et va bien au-delà des obligations en matière d’équité salariale. De bonnes pratiques de gestion permettent non seulement de demeurer conforme à la Loi, mais peuvent représenter à terme un avantage compétitif au niveau de l’attraction des talents.

1. Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, para 33.

2. Ibid., para 38.

3. Ibid., para 33.

4. Ibid., para 36.

5. CNESST, 25 mai 2018, www.ces.gouv.qc.ca/asp/quoideneuf.asp?no=10975

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