juillet 2020
Le plus haut tribunal du pays conclut au remboursement des prestations de retraite versées à une personne portée disparue
Dans une décision récente¹, la Cour suprême du Canada confirme le droit d’un régime de retraite de récupérer la valeur des prestations de retraite versées à l’égard d’une personne retraitée portée disparue, et ce, en vertu d’une présomption juridique de vie qui fut renversée par la découverte du corps de la personne retraitée.
Le 10 septembre 2007, monsieur Roseme, un retraité de l’Université Carleton et résident du Québec, disparait alors qu’il recevait une rente du régime de retraite de l’Université. Sa forme de rente choisie était une rente viagère sans réversion ni garantie de versement applicable suivant son décès.
Au Québec, l’article 85 du Code civil du Québec (« Code civil ») prévoit que la personne absente en raison de sa disparition est présumée en vie pour une période de sept ans, à moins d’une preuve de décès avant l’expiration de ce délai. Sur la base de cette présomption, l’Université Carleton, à titre d’administratrice du régime de retraite décide de continuer de verser les prestations à l’intention du retraité. Or, les restes de ce dernier sont découverts près de six ans suivant sa disparition, mettant ainsi fin la présomption de vie du Code civil avant l’expiration du délai. L’acte de décès produit par le directeur de l’état civil établit d’ailleurs le décès de monsieur Roseme au lendemain de sa disparition (« date réelle du décès »), ce qui n’a pas été contesté.
L’Université Carleton prétend ainsi avoir versé les prestations par erreur depuis la date réelle du décès. Elle réclame ainsi à madame Threlfall, à titre de tutrice de monsieur Roseme et liquidatrice de sa succession, la restitution de ces sommes versées depuis cette date. madame Threlfall rétorque qu’une approche prospective doit plutôt être retenue, de sorte que les prestations de retraite versées jusqu’à la date de la découverte des restes de monsieur Roseme ont été payées de bon droit. Ainsi, aucune restitution ne saurait être recevable dans les circonstances.
De ce contexte découlent les deux questions suivantes :
- Aux fins du régime de retraite, la preuve de décès avant l’expiration du délai de sept ans de présomption de vie a-t-elle pour effet de faire rétroagir le décès de monsieur Roseme à la date réelle du décès?
- Dans l’affirmative, les prestations de retraite versées du régime à compter de la date réelle du décès sont-elles susceptibles de restitution en vertu du Code civil?
À l’instar de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec, la Cour suprême du Canada, à la majorité, répond par l’affirmative aux deux questions.
Date de décès fixée rétroactivement au jour suivant la disparition du retraité
Relativement à cette question, la Cour suprême expose un certain nombre de motifs au soutien de sa conclusion, soit notamment que la présomption de vie prévue au Code civil est une présomption simple qui, par nature, doit faire place à la réalité une fois cette présomption repoussée. Elle avance également que, dans le cadre des dispositions du Code civil régissant l’absence, lorsque le législateur écarte la réalité au profit de faits présumés, il le fait clairement, ce qui n’est pas le cas pour la disposition applicable en l’espèce.
Finalement, la Cour suprême considère qu’un effet rétroactif en pareilles circonstances est conforme aux objectifs de la présomption de vie en ce qu’il permet d’assurer une stabilité des rapports juridiques concernant l’absent pendant une certaine période dans l’éventualité d’un retour de celui-ci.
Recevabilité d’une demande de restitution des prestations de retraite en vertu du Code civil
Aux fins de cette seconde question, la Cour suprême rappelle que trois éléments essentiels doivent être satisfaits pour donner lieu à la restitution en vertu du Code civil, soit :
(1) qu’il y ait présence d’un paiement;
(2) qu’il soit effectué en l’absence de dette entre les parties; et
(3) et qu’il soit effectué par erreur.
La Cour suprême considère que ces éléments sont satisfaits et doivent être appréciés rétrospectivement, soit lors de la demande restitution et non au moment de chacun des paiements, et ce, en fonction du véritable état des choses. Or, la « dette » du régime de retraite envers le retraité étant désormais disparue, les prestations de retraite versées entre la disparition et la date de découverte des restes du retraité s’avèrent alors versées sans droit et sont, en conséquence, susceptibles de restitution.
La Cour suprême du Canada confirme ainsi la condamnation de madame Threlfall à rembourser au régime de retraite un montant de l’ordre de près de 500 000 $, soit la valeur des prestations de retraite versées indument.
En faisant prévaloir la réalité sur la fiction juridique, l’Université Carleton a pu récupérer les prestations versées sans droit à l’intention du retraité. Cette affaire est de bon augure pour les caisses de retraite qui se trouveraient dans un contexte où la présomption de vie de l’absent est applicable à l’égard d’un participant.
Cela étant dit, bien que le régime ait eu gain de cause dans cette affaire, il ne faut pas sous-estimer les efforts qui doivent être mis en œuvre pour récupérer des sommes versées indument. En conséquence, une attention particulière est de mise dans des circonstances impliquant la disparition d’un participant d’un régime de retraite. Selon les circonstances, il pourrait s’avérer judicieux pour l’administrateur du régime de prendre certaines mesures, contractuelles ou autres, afin de réduire les risques de paiements indus ou, à défaut, favoriser la récupération de ceux-ci.
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¹ Threlfall c. Carleton University, 2019 CSC 50.
Pour toutes questions concernant cette décision ou toutes autres questions à l’égard de prestations payables de régimes de retraite, vous pouvez consulter les avocats de Normandin Beaudry.